Dans les Éblouis, Sarah Suco filme une famille sous l’emprise d’un gourou dans une communauté catholique.
A l'occasion de la sortie du film, nous vous proposons un aperçu de l'ouvrage référence de Jacques Poujol "Abus spirituels, s'affranchir de l'emprise", pasteur et psychothérapeute.
L’abus spirituel, une expression que l’on retrouve de plus en plus souvent dans notre environnement. Derrière ces mots, ces maux, se profile une réalité de souffrance, d’incompréhension et de blessures profondes pour ceux qui l’ont subi. Ce dont ces victimes ont besoin, c’est d’être entendues dans cette souffrance, reconnues comme innocentes, non coupables et confirmées par une prise en compte de leur valeur aux yeux de ceux qui voudraient les accompagner.
L’abus spirituel peut se définir comme un mauvais traitement spirituel et psychologique infligé à une personne, qui a pour conséquence de l’affaiblir voire de la détruire et de la rendre dépendante tant psychologiquement que spirituellement.
Il y a abus spirituel lorsque quelqu’un (pasteur, prêtre, berger ou tout autre dirigeant chrétien dans un groupe de prière, une communauté, une paroisse) met à profit sa position d’autorité pour contrôler ou dominer une ou plusieurs personnes. Cela se traduit souvent par une violation de ses émotions, de sa vie privée, de ses opinions sans se préoccuper des conséquences négatives sur sa qualité de vie et son équilibre psycho-spirituel.
Par exemple, le leader n’agit qu’en tenant compte du bien de son groupe et de ses projets sans considérer les besoins de chaque individu.
Dans tous ces cas, la spiritualité est utilisée pour obtenir d’autrui qu’il obéisse à des « normes ». Les manipulateurs ne sont pas du tout conscients du mal qu’ils font. Ils ne pensent pas délibérément qu’ils vont nuire mais leurs agissements étant clairement nuisibles, le résultat est le même pour la victime. La constante de toute conduite contrôlante est que la personne se trouve objet du désir du dirigeant et donc niée en tant que sujet désirant.
Avant d’aller plus loin, précisons que tout exercice de l’autorité n’est pas abusif. C’est l’excès d’autorité qui l’est. Exercer une responsabilité dans le cadre d’un contrat relationnel bien défini et clairement expliqué, éthiquement et cliniquement équilibré, n’est pas un abus. Rappeler aux personnes impliquées dans ce contrat les termes de celui-ci n’est pas de l’autoritarisme. Exposer les exigences éthiques de la Bible dans le cadre d’une communauté ecclésiale est normal. Demander à un responsable d’arrêter ses activités à cause de problèmes émotionnels, éthiques ou spirituels qu’il ne parvient pas à gérer est légitime. Confronter de manière adéquate et avec douceur un chrétien par rapport à un péché n’est pas inapproprié.
On identifie trois types de manipulateurs, plus ou moins dangereux et néfastes. Ils se différencient par l’intention qui les motive et non par les effets nuisibles de leur comportement sur leur entourage.
Le manipulateur surprotecteur ou « sauveteur »
Celui-ci entend faire votre bien malgré vous. Il pense savoir ce qui est bon pour vous. Il manipule au nom d’intentions qui sont, à son avis, tout à fait louables. Selon lui, la fin justifie les moyens qu’il emploie, étant entendu que ces moyens sont parfois moins recommandables.
L’égocentrique
Ici les manipulations bénéficient à l’égo du leader chrétien qui souffre, comme le surprotecteur, d’un déficit d’estime de soi. L’égocentrique se sert des membres pour nourrir son noyau narcissique1 mal construit. Il est en manque de reconnaissance depuis son enfance et il attend des autres des marques d’attention pour combler ce manque. Être reconnu vient renforcer, nourrir sa névrose et apaiser son anxiété. Dans ce but, il se sert de son pouvoir, de sa renommée, de son image. C’est le regard de ses fidèles qui le nourrit.
Le dirigeant chrétien pervers narcissique
Le mot perversion vient du latin per-vertere : retourner, renverser. Le pervers narcissique même s’il a un vernis chrétien, recherche le mal et non le bien. C’est le plus dangereux des manipulateurs, mais heureusement il est statistiquement plus rare. Avec lui, nous ne sommes plus dans le registre des personnes difficiles mais dans celui des personnalités difficiles. C’est un monde parallèle qui est complexe à comprendre si l’on n’a pas reçu de formation appropriée. Il ne faut pas le confondre avec le manipulateur égocentrique : ce dernier enfreint aussi les lois relationnelles, mais lorsqu’il est confronté à la réalité de ses agissements et de ses effets, il peut, même si c’est rare, reconnaître les faits et changer d’attitude. On qualifie de ce fait son comportement de délinquant et non de pervers. Le pervers narcissique, lui, est dans l’incapacité de changer. Ce n’est absolument pas un problème « spirituel » mais un problème de structure profonde de personnalité.
La victime
La victime du pervers narcissique est victime parce qu’elle a été « désignée » comme telle par le pervers. Elle devient le bouc émissaire, la responsable de tout le mal. Elle sera désormais la cible de la violence morale, évitant au harceleur une dépression ou une remise en cause. La victime, en tant que telle, est innocente du crime pour lequel elle va payer. Pourtant, même les témoins des manipulations la soupçonnent. Tout se passe comme si une victime innocente ne pouvait exister. L’entourage imagine qu’elle consent tacitement ou qu’elle est complice, consciemment ou non, du mal qu’il lui fait.
Le propre d’un agissement pervers, c’est de viser les parties vulnérables de la proie, là où il existe une faiblesse ou une pathologie. Chaque être humain présente un point faible qui deviendra pour le manipulateur un point d’accrochage.
Les conséquences de l’emprise psychologique
La confusion s’installe dès la mise en place de la mainmise, la personne n’osant pas ou ne sachant pas se plaindre.
Le doute : lorsqu’elle apparaît ouvertement, la violence morale, masquée par l’emprise, vient faire effraction dans le psychisme qui n’y était pas préparé
Le stress : accepter la servilité qui est exigée d’elle ne se fait qu’au prix d’une tension intérieure très importante, permettant de ne pas mécontenter le leader dominateur ...
La peur : qu’il parvienne ou non à ses fins, le tourmenteur sollicite en son souffre-douleur une part de violence qu’il voudrait méconnaître en lui.
L’isolement : alors qu’elle affronte toutes ces déstabilisations, elle se sent très seule. Elle ne sait pas comment en parler dans l’église ou à l’extérieur, tellement la destruction souterraine est indicible ...
Le choc se produit lorsque la victime prend conscience qu’elle a été abusée spirituellement.
La décompensation : les capacités de résistance d’un être humain ne sont pas infinies, elles s’érodent progressivement et conduisent à un épuisement psychique.
La séparation : face aux agissements toujours plus menaçants du leader religieux, la personne, soit se soumet et accepte sa domination, soit se révolte et combat pour trouver l’énergie de partir.
L’évolution : même si la victime, au terme d’un effort de séparation, perd tout contact avec ce responsable toxique, elle gardera des séquelles dramatiques d’un passage de sa vie où elle aura été réduite à la position d’objet. À partir de là, tout nouvel événement prendra un autre sens rattaché à l’abus subi.
On remarque des caractéristiques communes dans leur fonctionnement. Quelles sont-elles ?
des promesses irréalistes : une évangélisation qui promet des milliers de conversions, des guérisons garanties, le « réveil » à notre porte sous condition de renoncement à soi et d’engagement plus intenses.
Le discours est élitiste : « Dieu nous a choisis, nous sommes les meilleurs ..."
La pensée est binaire : Dieu/le diable ; le bien/le mal ; le monde spirituel/le monde physique ; etc.
On a le monopole de la vérité : « La seule façon valable de comprendre et de vivre la Bible, c’est celle de notre église ...
Il y a des pressions subtiles pour rompre avec le milieu familial
On exploite les ressources financières avec des versets
On communique sans aucun feed-back. On condamne toute remarque, tout esprit critique et on fait de la rétention d’informations
On manipule le discours sur l’éthique : l’accent est mis sur la micro-éthique (on condamne des détails de comportement, l’écoute de telle musique) ...
La discipline est exagérée (code vestimentaire strict, punition en public ...)
On contrôle la sexualité : intrusion équivoque dans la vie intime des membres (par exemple, le pasteur est à la fois leur médecin et leur responsable spirituel mêlant des registres qui devraient rester bien distincts)
L’auto-identification au groupe : il est demandé à l’individu de trouver toute son identité dans la communauté et dans les relations avec ses membres.
On met un accent excessif sur la repentance et sur la confession.
Le processus de restauration après de tels abus est difficile à accomplir seul. La victime a souvent besoin de se faire aider pour retrouver sa sécurité. L’aidant doit être un conseiller en relation d’aide expérimenté ou un psychothérapeute qualifié et spécifiquement formé à l’accompagnement des victimes d’abus. Cet aidant ne doit jamais mettre en doute ses paroles ni minimiser ses symptômes. Pour être en mesure d’aider, il faut d’abord comprendre comment fonctionnent les églises abusives. Il n’est pas nécessaire d’avoir soi-même vécu une telle situation mais il importe de bien en connaître les mécanismes et le profil des leaders manipulateurs.
Quatre pistes de réflexion aideront la personne à avancer :
– Que s’est-il passé, que m’est-il arrivé ?
– Quelles émotions m’habitent ?
– Qu’est-ce qui est le plus difficile pour moi ?
– Qu’ai-je fait pour survivre ?
Dans ce cheminement personnel elle pourra différencier d’une part le point faible dont s’est servi le manipulateur, par exemple un besoin légitime d’affection et de reconnaissance, une confiance aveugle, et de l’autre, ses agissements toxiques et contrôlants. Déconnecter ces deux éléments est souvent un moment de vérité et de soulagement pour la victime qui fait un nouveau pas vers sa libération parce qu’elle ne se sent plus responsable d’avoir trop fait confiance. Elle va reconnaître, redécouvrir et ressentir (les 3 R) les émotions justes (colère, tristesse) face aux manipulations du leader religieux. La vérité va l’aider à sortir peu à peu de la « vallée de l’ombre de la mort ».
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