Le pape actuel construit toujours sa rhétorique sur deux niveaux : sous un discours aux accents progressistes et avant-gardistes, il dissimule une pensée résolument absolutiste. Le discours prononcé par le pontife romain à l’occasion des 50 ans de la Commission théologique internationale (CTI), le 29 novembre dernier, fournit un bel exemple de ce double langage, apparemment ouvert et en réalité foncièrement autocratique.
Le respect sincère de la liberté religieuse cultivée dans un dialogue fructueux entre État et religions, et entre les religions elles-mêmes, est une grande contribution au bien de tous et à la paix,
déclare ainsi Jorge Bergoglio, prenant tout d’abord la pose d’un apôtre de
la diversité des cultures et des expériences ecclésiales, se faisant le chantre des aspects toujours nouveaux de l’inépuisable mystère du Christ, de la douceur du kérygme et de sa nouveauté éternelle.
Les théologiens, explique-t-il encore, assurent une mission génératrice, ils font venir l’Évangile à la lumière des diverses cultures. Mais comment et dans quelles conditions doivent-ils effectuer leurs recherches nouvelles, à travers les diverses cultures et les avancées des sciences humaines ?
Après avoir proclamé son respect sincère de la liberté religieuse, le Janus du Vatican édicte alors trois règles :
1. la théologie naît et grandit à genoux !, lance-t-il carrément aux théologiens de la CTI, préconisant la génuflexion comme préalable et condition de toute recherche. Un théologien ne saurait être debout. Il doit penser à genoux.
2. La seconde règle qu’il pose proscrit le travail personnel : On ne devient pas théologien individuellement, mais dans la communauté. Autrement dit, un théologien selon Jorge Bergoglio, ne saurait mener une recherche indépendante, il doit penser collectif.
3. La troisième règle, c’est le secret que le pape entend imposer aux travaux théologiques :
Au peuple de Dieu, il faut donner la nourriture solide de la foi, ne pas nourrir le peuple de Dieu avec des questions disputées. Que la dimension du relativisme, disons-le ainsi, qui fera toujours partie de la discussion, reste entre les théologiens, mais ne jamais l’apporter au peuple parce qu’alors le peuple perd son orientation et perd la foi. Au peuple, il faut toujours donner la nourriture solide qui alimente la foi.
Jadis interdits de lire la Bible, les fidèles catholiques sont ainsi aujourd’hui interdits de penser, de réfléchir, de débattre. On comprend au passage que la sujétion des chercheurs à la communauté (deuxième règle) est en réalité une mise sous contrôle hiérarchique : la communauté n’ayant pas accès aux travaux théologiques ni à l’intelligence de la foi, elle se retrouve réduite aux évêques et au Magistère.
Le libre examen incompatible avec la Révélation.
Un tel autoritarisme n’est pas nouveau dans l’Église catholique. Quand il présidait la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), Joseph Ratzinger avait balisé de la même manière l’espace de la pensée religieuse. Dans l’instruction vocation ecclésiale du théologien, publiée le 24 mai 1990, le futur Benoit XVI n’y allait pas par quatre chemins :
Opposer au magistère de l’Église un magistère suprême de la conscience, assurait-il, c’est admettre le principe du libre examen, incompatible avec l’économie de la Révélation et de sa transmission dans l’Église, comme avec une conception correcte de la fonction du théologien.
Selon lui, la pensée théologiquement correcte doit se conformer à l’enseignement de la foi tel qu’il est prôné par le magistère puisque Jésus-Christ a promis aux pasteurs de l’Église l’assistance de l’Esprit saint, il les a en particulier dotés du charisme d’infaillibilité en matière de foi et de mœurs (…) Donc, lorsque les évêques imposent des vérités concernant la foi et les mœurs qui, même si elles ne sont pas divinement révélées, sont toutefois étroitement et intimement connexes avec la Révélation, celles-ci doivent être fermement acceptées et tenues.
Pour Joseph Ratzinger, non seulement le pape, mais les évêques sont donc infaillibles et ils sont les seuls interprètes authentiques de la Parole écrite ou transmise. Pour couper court à toute discussion, l’instruction de la CDF dispose que le théologien évitera de recourir aux mass medias plutôt que de s’adresser à l’autorité responsable, car ce n’est pas en exerçant ainsi une pression sur l’opinion publique que l’on peut contribuer à la clarification des problèmes doctrinaux et servir la vérité. C’est donc dans le secret et par la censure que s’épanouira la volonté.
Et le futur pontife de fustiger l’idéologie du libéralisme philosophique et la tendance à considérer qu’un jugement a d’autant plus de valeur qu’il procède de l’individu en s’appuyant sur ses propres forces.
Interdiction de la critique personnelle
Cette interdiction de toute démarche critique personnelle renoue avec les pires époques du catholicisme. Pourtant, dans la foulée du concile Vatican II, la Commission théologique internationale avait banni l’autoritarisme du Magistère : Il faut tenir compte de la responsabilité personnelle dont aucun théologien ne peut être déchargé. Sans cette responsabilité personnelle, avait insisté en 1975 la CTI dans un document intitulé « magistère et théologie », il n’est pas de progrès scientifique possible : cela n’est pas moins vrai quand il s’agit de la science de la foi.
Les théologiens, pouvait-on lire dans ce même document, sont investis d’une fonction de médiation par rapport au Magistère et au Peuple de Dieu. Ils faisaient référence à une déclaration de Paul VI : la théologie occupe en quelque sorte une position intermédiaire entre le magistère de l’Église et la communauté chrétienne toute entière. Et la CTI voyait alors dans la recherche théologique un facteur de dynamisme et un stimulant.
Depuis, les papes Benoit XVI et François entendent empêcher les théologiens qui soulèvent des questions nouvelles de communiquer avec les fidèles, ceux-ci étant jugés incapables de suivre. Or, c’est le stimulant théologique, propagé à travers livres et publications, qui avait rendu possibles les avancées de Vatican II et la révolution à 180 degrés que le concile avait déclenchée. Le pape Paul VI déclarait alors : Je crois que dans le temps à venir nous aurons des laïcs théologiens. Qui sait ? La théologie de l’avenir sera peut-être surtout l’œuvre des laïcs. Ils ont des dons pour proposer la vérité aux hommes de chaque génération, afin qu’à chaque siècle le cœur du Christ parle au cœur de l’homme d’une manière plus intime et plus efficace »*. Désormais, le verrou systémique a été tiré sur l’espace de la pensée catholique.
Christian Delahaye
*Jean Guitton, Dialogues avec Paul VI, Guibert 2001.
Chrisitan Delahaye est l'auteur de Scandales et L'alliance contre-nature aux éditions Empreinte Temps présent.
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