Si vous n’avez pas vu La conspiration du Caire et que le film passe encore non loin de chez vous, foncez ! Non pas juste pour passer un bon moment, mais bien pour être emporté dans un autre monde et ébranlé sur vos bases.
Vous voilà “arrivé” en Égypte, au sein de la prestigieuse université sunnite Al-Azhar. Nous la découvrons au travers du regard d’un jeune homme brillant, fils de pêcheur, encouragé par l’imam du village à faire des études. La bonne nouvelle est tombée, sous la forme d’une lettre : Adam a obtenu une bourse, il a été sélectionné parmi des centaines d’autres jeunes musulmans !
Il découvre Le Caire avec des yeux tout à la fois émerveillés et effarés. Les images de l’université sont splendides, tous ces étudiants vêtus pareillement de "qamis" immaculés et coiffés de toques rouges et blanches, traversant une cour monumentale, au pied du minaret. Pourtant, très vite, l’ordre apparent s’efface et le film vire au polar, quand le Grand Imam d’Al–Azhar disparaît dans de mystérieuses circonstances. Adam, le pur, le naïf, le confiant se trouve alors embarqué à son corps défendant dans une terrible machinerie faite de coups tordus, de manipulations, de peurs, de morts… Le cinéaste Tarik Saleh y va fort pour dénoncer la corruption et la tyrannie exercée par le régime du Maréchal Al-Sissi, y compris sur la gouvernance de l'université. Au cœur de l’intrigue, les relations État et religions, quand les pouvoirs s’affrontent, nous laissent abasourdis. On comprend mieux pourquoi Tarik Salek, déjà auteur d'un excellent Le Caire confidentiel en 2017, est interdit de séjour en Égypte. Et pourquoi, après avoir tourné son premier film au Maroc, il a dû réaliser celui-ci en Turquie. Quel courage que celui de cet artiste, né en Suède et d’origine égyptienne !
Dans le même temps, la plateforme Netflix propose une série intitulée La disparue du Vatican. Ce documentaire évoque une autre histoire de manipulation dans un autre monde religieux, celui de la papauté. C’est tout aussi terrible. L’affaire serait-elle passée inaperçue en juin 1983, deux ans après la tentative d’assassinat de Jean-Paul II par Mehmet Ali Aga, pour que je l’oublie à ce point ? Rien ne me rappelle cette jeune fille de 15 ans, Emanuela Orlandi, enlevée au pied de son immeuble et disparue à jamais. Pourquoi ? Comment ? Le documentaire avance pas à pas, interroge le frère, les sœurs, la mère d’Emanuela, un affabulateur qui s’invente des rôles, des journalistes romains… Ici aussi émergent de sombres histoires de manipulation, d’argent occulte, de mafia, de banque du Vatican, d’abus. Les raisons de l’enlèvement d’Emanuela sont telles qu’on n’ose y croire.
Comme dans La Conspiration du Caire, nous voilà confrontés à un monde exclusivement masculin, où les rares femmes présentes servent de proies sexuelles à des hommes tout-puissants. Si le film est très graphique et symbolique, le documentaire pêche par cette tentation généralisée chez Netflix d'ajouter des musiques entêtantes et des effets quelque peu superflus. Il n’empêche : tous deux disent beaucoup de ces mondes aux règles ancestrales et patriarcales, où vibre la loi de la violence qui s’attaque aux humbles. Glaçant et salvateur.
Nathalie Leenhardt,
Journaliste
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