Connu comme l’« évêque du peuple », surnommé l’« évêque rouge » par ses ennemis, l’évêque espagnol Pedro Casaldáliga, fervent défenseurs des paysans sans terres et opposant implacable à la dictature militaire, est mort samedi 8 août à 92 ans au Brésil, où il était installé depuis 1968.
—-
Il demandait à ce qu’on l’appelle Pedro, avait renoncé aux accessoires qui vont avec son statut : la mitre, la crosse et l’anneau d’or, leur préférant un chapeau de paille et de simples habits. Tongs aux pieds et jean en place de soutane, la détermination de Mgr Casaldáliga dans la défense d’une Église avec une forte action sociale a fait de lui une des grandes icônes de la théologie de la libération.
Fils de paysans de la commune catalane de Balsareny (son nom en catalan est Pere Casaldáliga), ordonné prêtre en Espagne à l’âge de 24 ans, Dom Pedro Casaldáliga est arrivé au Brésil en tant que missionnaire en 1968 pour fuir le franquisme.
« Nous devions vivre Vatican II. C’est pendant ce temps que je décidai de partir pour le Mato Grosso (…) Che Guevara venait de mourir. Son témoignage était un nouvel appel » raconte-t-il dans son ouvrage, Fleuve libre, ô mon peuple publié en 1975.
Le prêtre s’installe dans la région de São Felix do Araguaia, dans le nord-est de l’état du Mato Grosso, un territoire qui compte 14 villages et dix tribus indiennes, à sept jours de camion de Rio de Janeiro. C’est ici, Dans l’immense territoire de 150 000 km2 - une étendue de presque quatre fois la Suisse - qui constitue son diocèse, que le prélat restera près de cinquante ans.
Dès son arrivée, Dom Casaldáliga s’engage rapidement au cœur de la région amazonienne dans la lutte pour les droits des minorités. Avec des idées centrées sur une évangélisation sans colonialisme, il dénonce les conditions de vie des posseiros, ces petits agriculteurs familiaux
écrasés par le pouvoir des grands propriétaires de la région.
« Le problème de la terre grandissait en moi »
Dans un premier rapport en 1970, intitulé « Esclavage et féodalisme au nord du Mato Grosso », le prêtre dénonce la situation des ouvriers agricoles locaux. Il affirme dans le texte que près d’un tiers des habitants sont assujettis par les propriétaires de quelques grands domaines. Pedro s’impose dès lors comme un des chantres de la critique du système des latifundia et devient une figure de la lutte contre l’injustice sociale :
« Je ne pourrai jamais mettre en doute le caractère radicalement mauvais des structures oppressives du capitalisme. Je ne pourrai jamais mettre en doute la légitimité de la lutte de la classe opprimée pour sa libération », expliquera-t-il.
Un an plus tard, Pedro est nommé évêque. Le jour de sa nomination épiscopale, le 23 octobre 1971, il publie un nouveau rapport intitulé « Une église en Amazonie en conflit avec les grands propriétaires et aux prises avec la marginalisation des habitants ».
Le document a une répercussion médiatique nationale et internationale. Au Brésil, le journal O Estado de Sao Paulo lui consacre un éditorial de trois colonnes pour dénoncer sa « mauvaise foi » et sa « démagogie ». D’autres voix encore le traitent de « pharisien démagogue » et de « provocateur ».
« Voilà notre Terre : La liberté »
Menacé de mort, accusé d’être un communiste subversif, un étranger, Mgr Casaldáliga continue cependant d’orienter toute sa pratique vers la mission de proclamer la justice et la liberté du peuple.
Il fera partie des fondateurs de la Commission pastorale de la terre (CPT) et du Conseil indigéniste missionnaire (Cimi), deux organismes clés dans la lutte pour la réforme agraire dans le pays.
Le gouvernement de l’époque incite les grandes entreprises à aller occuper l’Amazonie en leur accordant de substantiels avantages fiscaux, tandis que les populations locales doivent abandonner leurs terres. Dans son combat, Pedro Casaldáliga va donc s’opposer directement à la dictature militaire, une lutte qui apportera au prélat son prix de persécution et de souffrances : Cinq fois, les militaires tenteront de l’expulser du pays, tandis qu’il vivra sous la menace constante des tueurs à gage à la solde de grands propriétaires terriens.
Voilà notre Terre :
La liberté,
Hommes nos frères !
Voilà notre Terre :
Celle de chacun
Frères humains !
Pedro Casaldáliga, Fleuve libre, ô mon peuple, 1975
« Je suis fils de Medellín »
Cet engagement profond fait de Pedro Casaldáliga une figure importante de la théologie de la libération en Amérique latine. Issu d’Allemagne, ce courant de pensée chrétien inspiré du marxisme a commencé à s’implanter en Amérique latine à partir des années 60. Il s’organise lors de la Conférence générale de l'épiscopat latino-américain tenue à Medellín, en Colombie, en 1968. C’est alors la première fois dans l'histoire de l'Église que les évêques de tout un continent s’engagent pour une Église pauvre privilégiant la lutte contre l’injustice sociale. Les partisans de la théologie de la libération soutiennent qu’il existe en dehors du péché personnel un péché collectif et structurel, c’est-à-dire un aménagement de la société et de l’économie qui cause la souffrance de la population. « Je suis fils de Medellín », répétera souvent Mgr Casaldáliga.
L’évêque rouge et le Vatican
Personnalité marquée en politique, l’évêque ne cache pas non plus ses désaccords avec le Vatican.
Accusé de diffuser des doctrines et d’avoir des pratiques contraires aux traditions de l’Église, en 1977, la papauté dépêche un visiteur apostolique pour le rappeler à l’ordre. En 1998, l'évêque espagnol est appelé à Rome où il subit un dur interrogatoire du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi de l'époque, le cardinal Joseph Ratzinger, devenu sept ans plus tard le pape Benoît XVI. C’est au cours du même séjour qu’il affirmera directement au pape Jean-Paul II :
« Je suis prêt à donner ma vie à tout moment pour Pierre, mais pour le Vatican, c’est autre chose ».
Des années plus tard, en 2015, le Pape François s’appuiera sur les enseignements de Pedro Casaldáliga pour écrire sa célèbre encyclique « verte » Laudato si’ (« Loué sois-tu ») consacrée aux questions environnementales et sociales. L’encyclique reprend les thématiques défendues par le prélat notamment en ce qui concerne la lutte contre la déforestation et la défense des peuples autochtones. Sans Pedro Casaldáliga, dit-on au Vatican, Laudato si’ n’aurait pas pu être écrite.
Un contemplatif engagé
Pedro Casaldáliga était aussi poète. Auteur de pas moins de dix volumes de poésie, ses textes ont parfois été condamnés par l’Église, jugés trop explicitement subversifs.
Je mourrai debout, comme les arbres
Ils me tueront debout
Et, témoin superbe, le soleil apposera son sceau
Sur mon corps deux fois consacré.
Et les fleuves et la mer
Se feront un passage
De tous mes désirs,
Tandis que, jubilante, la forêt agitera ses frondaisons.
Je dirai à mes paroles :
-Vous proférant je ne mentais pas.
Dieu dira à mes amis :
-J’atteste qu’il a vécu avec vous dans l’attente de ce jour
D’un coup, avec la mort,
Ma vie sera faite vérité.
Enfin, j’aurai aimé !
Pedro-Maria Casaldaliga, Fleuve libre, Ô mon peuple, 1975
Jusqu’au bout, l'évêque aura poursuivi son combat. Fin juillet, il fustigeait encore l’actuel président brésilien Jaïr Bolsonaro pour son incompétence.
Le « prophète de l’Amazonie », Pedro Casaldàliga s’éteint finalement le 8 août 2020, à 92 ans, des suites d’une embolie pulmonaire, après avoir lutté plus de quinze ans contre la maladie de Parkinson.
Avec une devise épiscopale à son image :
« Nada possuir, nada carregar, nada pedir, nada calar e, sobretudo, nada matar » // « Ne rien avoir, ne rien prendre en charge, ne rien demander, ne rien taire et surtout ne rien tuer »
Pedro Casaldáliga le répétait: Pour lui, l’important, c’était les pauvres.
Pour aller plus loin :