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Photo du rédacteurDamien GUILLAUME

La fausse polémique des deux papes sur le célibat des prêtres

Dernière mise à jour : 5 sept. 2020





La parution du livre Des profondeurs de nos cœurs (Fayard) avec, en couverture, les photos de Benoît XVI et du cardinal Robert Sarah, provoque un mini-séisme médiatique. Rompant avec le pacte de non-ingérence auquel il s’était engagé en démissionnant en 2013, Joseph Ratzinger, par sa contribution à cet ouvrage, aurait envoyé un drone mortel en direction de son successeur en pointant la question du célibat des prêtres, alors que le synode consacré en octobre dernier à l’Amazonie a mis en lumière la pénurie ecclésiastique de cette région et suggéré, par la voix de certains évêques, que l’ordination de viri probati, des hommes mariés, pourrait y palier.




Dans l’attente des conclusions que doit encore tirer le pape François, seul à statuer, il n’en faut pas plus pour déclencher la panique du bloc des conservateurs opposés à la moindre réforme. A leurs yeux comme à celui du pape Benoît XVI qui dit ne pas pouvoir se taire, l’ordination d’hommes mariés dans la lointaine Amazonie constituerait une dérive protestante caractérisée.


La Réformation, en voulant renouer avec l’Ecriture, n’avait-elle pas notamment engagé la décléricalisation par l’abolition du célibat du clergé ? Mais cet emballement autour de la (supposée) guerre entre deux papes, l’un qui inclinerait vers la Réforme, l’autre qui assure que le célibat est un critère indispensable du ministère sacerdotal, est-il vraiment justifié ?


Quelques rappels nécessaires, historiques et théologiques, permettent d’en douter sérieusement. Réserver l’ordination des prêtres aux seuls hommes célibataires ne correspond pas en effet à une loi divine, mais à une loi ecclésiastique médiévale adoptée pour garantir le système des bénéfices : le mariage des prêtres, jusqu’alors courant, a été rendu invalide en 1139 (canon 7 de Latran II, COD 198), suivant une discipline somme toute économique et sociale qui s’est adossée par la suite à une évolution doctrinale sur la consécration du corps eucharistique, fonction principale et exclusive des prêtres, et s’est alignée sur les règles du monachisme.


Preuve en est que cette loi du célibat n’est nullement divine, c’est que ni les églises orthodoxes, ni les églises protestantes, ni l’Eglise catholique romaine elle-même ne la respectent : les prêtres orthodoxes comme les pasteurs protestants se marient, de même que les prêtres des églises orientales en communion avec Rome, tels les Gréco-catholiques ukrainiens, maronites, chaldéens, melkites et autres ruhténiens, qui tous ont la possibilité d’être mariés. Cette même ouverture a été reconnue par le pape François en 2014 aux ecclésiastiques orientaux en diaspora au sein des églises latines. La discipline du célibat ne s’applique pas davantage au clergé anglican qui rejoint l’Eglise catholique romaine, dans le cadre des ordinariats personnels créés en 2009 sur le modèle des ordinariats militaires.


L’ordination anglicane n’est pas reconnue par Rome, mais l’ordination catholique est admise pour les prêtres et les évêques anglicans mariés qui en font la demande, et c’est le pape Benoît XVI lui-même qui a accordé cette exception au célibat par une constitution qu’il a signée le 4 novembre 2009. En lien avec la relation extrêmement complexe et ambiguë entre le sexe et le sacré, le sujet du célibat a toujours été délicat : Le concile Vatican II avait ainsi fait l’événement quand il avait voté, finalement massivement, pour que des hommes mariés puissent être ordonnés diacres. Il s’agissait d’une grande nouveauté après seize siècles de tradition suivant laquelle les diacres devaient, comme tous les ministres, être célibataires. A l’époque, les opposants avaient prédit que les prêtres risquaient de suivre, mais, cinquante ans après, il n’en est rien. Une exception de plus au célibat sacerdotal s’ajouterait par conséquent à la liste déjà longue des ministres catholiques mariés et elle n’ouvrirait nullement la porte à l’ordination d’hommes mariés au presbytérat, comme le craignent Joseph Ratzinger, Robert Sarah et d’autres dignitaires réactionnaires : l’Église catholique a toute capacité de changer et d’adapter une loi ecclésiastique sans qu’aucun rapprochement avec le protestantisme ne se profile dans ce lointain horizon amazonien. C’est même tout le contraire. Cette mesure locale est censée répondre à la pénurie ecclésiastique, un phénomène plus flagrant encore en Amazonie que dans d’autres régions du monde, notamment européennes, qui sont en voie de décléricalisation, faute de prêtres.


Pour y faire face, on aurait été en droit d’espérer un décentrage du sacerdoce clérical, une évolution du sacerdoce ministériel vers le sacerdoce commun des fidèles. Ce fut du reste l’une des principales avancées de Vatican II, qui avait redécouvert que le peuple chrétien est un peuple sacerdotal, dans la diversité des charismes, des fonctions et des vocations. A cet égard, le concile avait rejoint un des fondamentaux de la Réforme qui professe que tout le peuple, rempli de l’Esprit, est appelé à la prédication prophétique du Royaume qui vient, abolissant la séparation entre le peuple et le prêtre, le pasteur ne possédant aucun pouvoir qui le distinguerait du laïc.





Or, c’est exactement le chemin inverse qu’ont choisi les pères synodaux d’Amazonie en polarisant toute l’attention sur cette notion inconnue du Nouveau Testament qu’est le sacerdoce ministériel. Comme si le pouvoir sacré du prêtre, célibataire ou exceptionnellement marié, dans une institution sacerdotale exclusivement hiérarchique et monarchique, permettait seul de regarder l’avenir catholique. Dans une Eglise en crise ouverte, secouée par les scandales et privée de prêtres, cette option cléricale coupe court à toute avancée sur les missions des femmes et du laïcat, dans la diversité des charismes et la force de l’Esprit. C’est une systole (contraction) catho-centrée et non une diastole (expansion ou dérive) vers une ère nouvelle dans la liberté de l’Evangile, pour faire Eglise autrement.




Christian Delahaye est l'auteur, aux éditions Empreinte de "Scandales, les défis de l'Eglise catholique" et "L'alliance contre-nature"

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