Depuis le 15 mars, les messes sont interdites dans les églises. C’est un véritable crash-test pour le catholicisme : plus de dimanche, plus de baptême, plus de mariage et même plus de funérailles (sinon avec quelques fidèles) :
l’ultime digue qui faisait exception à l’effondrement des pratiques chrétiennes dans la société française,
comme le notait la sociologue Danielle Hervieu-Léger dans L’Aggiornamento des funérailles (Parole et Silence) a cédé elle aussi sous l’effet du Coronavirus.
La loi quasi-mondiale du confinement est strictement areligieuse. Elle s’applique du parc de Prambanan en Indonésie comme au Mur des Lamentations à Jérusalem, de La Mecque à Médine, de l’Omra au Hajj, de la pyramide de Gizeh à l’esplanade de la basilique Saint-Pierre.
En France, depuis les moindres églises de campagne jusqu’aux plus monumentales cathédrales, cette mise à l’arrêt du catholicisme institutionnel est d’autant plus remarquable qu’elle intervient en pleines fêtes pascales. Plus de procession des rameaux, plus de célébrations de Pâques. Entre le jeudi saint et le dimanche de la Résurrection, chaque année les cloches se taisaient, mais pour le coup, confinement oblige, c’est tout le pays qui est mis sous cloche, hormis pour les activités dites vitales. Les pratiques religieuses n’en font pas partie. C’est bien un crash-test que subit l’Église catholique.
Le jour d’après pour les religions
Sanitaire, économique, sociale, sociétale, la crise mondiale impacte ainsi les religions. La question du jour d’après se pose dans tous les domaines. Mais si les politiques, les économistes, les médecins, les scientifiques, chacun dans leurs sphères, font preuve d’audace pour remettre en question leurs modèles respectifs, le système catholique romain tente lui d’échapper au Vortex général (visualisation objective du retour d’expérience), ce grand tourbillon qui, promet l’anthropologue israélien Yuval Noah Harari, nous fera vivre d’ici la fin de l’année dans un nouveau monde. Les catholiques vivent sans église, sans prêtres et sans sacrements, mais le système romain ne se remet pas en question. Au contraire de s’interroger sur un nouveau visage d’Église, libérateur et consolateur, autour d’un laïcat promu à la pleine citoyenneté chrétienne, le pape et les évêques tentent de renforcer leur emprise cléricale sur des fidèles confinés. Alors que l’Éducation nationale et le corps enseignant, dans le même temps, s’échinent à faire dialoguer sur la toile élèves et professeurs, l’Église catholique, elle, utilise internet en sens unique, comme un simple intranet : la CEF (conférence des évêques de France) met en ligne pour la Semaine sainte des vidéos où les évêques sont les seuls à prendre la parole. Mgr Éric de Moulins-Beaufort ferme ce ban épiscopal pour le dimanche de Pâques. La chaîne KTO retransmet la messe du pape François et celle de Mgr Michel Aupetit. Pour appeler à la solidarité, c’est toujours un évêque (l’évêque de Saint-Denis, Pascal Delannoy), qui s’y colle.
Deux services ont cependant été créés pour recueillir la parole des chrétiens d’en-bas : d’une part, un numéro vert national (le 0806 700 772), mais il s’agit là d’une initiative lancée par le président de la République lors de sa rencontre avec les représentants des cultes le 16 mars : chaque religion s’est vue attribuer un canal téléphonique et c’est le chef de l’État qui procure ce moyen d’expression aux laïcs ; et d’autre part, une plateforme au service de la continuité de la mission de l’Église, est ouverte pour que les fidèles puissent effectuer l’offrande qu’ils ne peuvent plus faire à la messe. À défaut d’ouvrir la bouche, les fidèles sont priés d’ouvrir leur porte-monnaie. Voilà le tout de l’interactivité imaginée par les évêques pour le rude temps du confinement.
Les épidémies ébranlent les pouvoirs, y compris cléricaux
Confinés dans les églises vides, les clercs fêtent Pâques sans les laïcs, invités à suivre les retransmissions de célébrations auxquelles ils ne participent pas, réduits à l’état de spectateurs devant leurs écrans. Or, c’est cette exclusivité cléricale, ce pouvoir sacré et dominateur des ministres du culte que les épidémies, dans l’histoire, ont soumis à d’importants ébranlements : au XIVe siècle, la peste noire avait tout d’abord permis au clergé de renforcer son emprise par la culpabilisation des consciences, la menace sans cesse agitée de l’enfer, avec la pastorale de la peur et le système des indulgences qui avaient alors connu leur plein essor (voir Scandales, les défis de l’Église catholique, éditions Empreinte temps présent).
Mais, comme le rappelle Jean Delumeau dans Un christianisme pour demain (Hachette Littérature), c’est ce modèle clérical bâti sur un Dieu vengeur et punisseur qui sera à l’origine directe de la Réforme : Jan Hus et John Wyclif, contemporains de la peste noire, ont alors rejeté le terrorisme clérical et son magisme, devenant les précurseurs de la Réforme, en se dressant contre les punitions sacrales, suivant Jésus qui les avait lui-même dénoncées dans les épisodes de l’aveugle-né (Jean 9) ou de la tour de Siloé (Luc 13).
Cinq siècles plus tard, comme le montre Guillaume Cuchet (Le Crépuscule du purgatoire, Armand Colin), c’est une autre épidémie, la grippe espagnole de 1918, qui mettra à mal, dans la foulée de la Grande Guerre, la croyance non biblique dans le purgatoire. La dialectique des souffrances expiatoires ne passait plus. Dès lors, le catholicisme a décroché jusque dans les campagnes, le temps de la déchristianisation a alors sonné, vidant peu à peu églises et séminaires, cédant la place à la sécularisation, avènement d’un monde a-religieux.Après la peste noire de 1648 et la grippe espagnole de 1918, quel sera demain l’impact de l’épidémie de Covid-19 de 2020 sur le système catholique romain ?
Nul, pape ou évêque, ne se risque bien sûr à poser la question d’une sortie de crise pour le catholicisme avec un changement de l’institution. Cette année en raison de l’épidémie de COVID-19 qui touche la planète, les célébrations de la Semaine sainte et de Pâques se dérouleront sans la présence des fidèles, résume carrément le site dominicain Carême dans la ville.
Et si, après le temps du crash-test, c’était l’inverse ? Si c’étaient les fidèles qui célébraient demain le bon pasteur de tous les hommes à travers une liturgie sans sacerdoce institué, dans une vie décléricalisée, avec un laïcat promu à la pleine citoyenneté chrétienne, à travers le vrai visage de l’Évangile, porteur de la liberté promise à l’humanité nouvelle, selon la perspective dessinée par Joseph Moingt dans Faire bouger l’Église catholique (Desclée de Brouwer) ?
La religion d’après exprimera la Parole de Dieu dans un langage nouveau, prophétise Dietrich Bonhoeffer, (Résistance et soumission, Labor et fides),
un langage peut-être tout-à-fait areligieux, mais libérateur et rédempteur, comme celui du Christ.
Par millions, les confinés, chrétiens ou non, partagent l’expérience littéralement catholique, c’est-à-dire universelle, du confinement, de l’invisible qui change tout, du prochain qui nous manque et qui en même temps nous fait peur. Le jour d’après, lèveront-ils, ces confinés, les barrières et notamment les barrières religieuses ? Laisseront-ils alors les prêtres à leurs églises vides et le pape devant une place saint Pierre déserte, dans le son des cloches mêlées aux sirènes des ambulances ? Après le temps du confinement, après ce sacré crash-test, viendra-t-il enfin, le temps du déconfinement religieux ?
Christian Delahaye Journaliste, auteur aux éditions Empreinte des livres "Scandale, les défis de l'Eglise catholique" et "L'alliance contre-nature"
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