Promulguée au cœur de l’été, la dernière loi du pape François est un quadruple scandale car elle fait au moins quatre obstacles à la foi. Le pape actuel a décidé en effet que les baptêmes conférés avec la formule « Nous te baptisons au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » n’étaient plus valides. Il a ordonné que les personnes pour lesquelles cette formule avait été prononcée devraient être rebaptisées « de manière absolue » (sic), suivant le décret qu’il a signé personnellement le 6 août dernier, qui avalise une note du cardinal Ladaria, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF). On image la sidération, l’incrédulité, le désarroi des parents, parrains et marraines à qui l’évêque, son chancelier ou leur curé, vient apprendre que le baptême de leur enfant célébré dans la joie à l’église est nul. Et lorsqu’il leur enjoint « de manière absolue » de préparer une nouvelle cérémonie, une cérémonie où le célébrant prononcera la formule « Je te baptise » et non la formule « Nous te baptisons », qui, pour le pontife romain, a le tort d’associer au prêtre le père, la mère, le parrain, la marraine et toute la communauté chrétienne.
Le pape bafoue le ministère parental
Le rituel du baptême pour les enfants publié en latin en 1969 et en français en 1984 dispose pourtant que ce sont les parents qui, au baptême, « exercent un vrai ministère », et occupent l’avant-plan du sacrement (note doctrinale et pastorale n°40).
C’est le premier scandale : le pape actuel bafoue ce vrai ministère parental reconnu par ses prédécesseurs Paul VI et Jean-Paul II, dans le sillage de la constitution Sacrosanctum concilium de Vatican II.
Le deuxième scandale, c’est que le pontife oblitère par sa décision le cœur du sacrement baptismal. Le cœur du baptême, son sens qui traverse tous les courants chrétiens dans toutes les traditions, c’est en effet sa formule trinitaire, telle qu’elle est prononcée dans la finale de l’évangile selon Matthieu :
« faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (28, 19 b).
Dès le IIe siècle, la Didachè (chapitre 7) mentionne que c’est au nom de ces trois personnes qu’est célébré le baptême. Le pape François n’a cure que le baptême qu’il annule ait été célébré au nom de la Trinité.
Comme un magicien qui s’écrie Abracadabra
Jorge Bergoglio provoque un troisième scandale : outre qu’il nie le ministère parental et qu’il oblitère le critère trinitaire du sacrement, il ne porte de considération qu’au seul prêtre (ou au diacre) et aux paroles que celui-ci doit prononcer, un peu comme un magicien quand il s’écrie Abracadabra, ou prononce d’autres mantras. La seule personne qui compte pour ce pape, c’est le seul clerc. Or, comme l’avait annoncé l’évangile selon Jean, le seul baptiseur, c’est le Christ :
« Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint »
(1 ? 33).
Dans la controverse avec le donatisme, Cyprien le martèle :
« Que ce soit Pierre qui baptise, c’est lui (le Christ) qui baptise ; que ce soit Paul qui baptise, c’est lui qui baptise ; que ce soit Judas qui baptise, c’est lui qui baptise » (Traité sur l’Evangile de Jn, VI, 5-8).
La notion technique de ministre du sacrement n’apparaît d’ailleurs qu’à partir du IIIe siècle, avec les rituels décrits par Tertullien dans son Traité du baptême : l’évêque préside, il impose les mains après que le presbytre a procédé à deux onctions (une pour l’exorcisme et une pour l’action de grâce), l’évêque faisant une troisième onction, l’onction trinitaire, qui est le sommet du sacrement.
Le cléricalisme contre l’oecuménisme
Augustin confirmera que la potestas du baptême n’appartient qu’au Christ, le ministerium du célébrant n’étant que le serviteur du Christ. Plus tard, suivant l’approche paulinienne du salut par le Christ qui « veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2,4), Thomas d’Aquin soulignera que « Dieu n’a pas lié sa puissance aux sacrements » (Somme théologique IIIa, question 64).
Et, élargissant les voies de la providence aux voies autres que baptismales, le mouvement œcuménique reconnaîtra aux églises chrétiennes la validité sacramentelle d’un baptême non catholique célébré en leur sein, les baptisés étant agrégés à l’Eglise de Dieu par la médiation de leur Eglise particulière :
« à travers leur propre baptême, les chrétiens sont conduits à l’union avec le Christ, avec chacun des autres chrétiens et avec l’Eglise de tous les temps et de tous les lieux. Notre baptême commun, qui nous unit au Christ dans la foi, est ainsi un lien fondamental d’unité. » Somme toute, il n’y a qu’ « un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous »,
comme le professe la lettre aux Ephésiens (4, 4-6).
La décision que vient de prendre le pape actuel privilégie le cléricalisme au mépris du fondamental baptismal, en raison d’une formule qui est elle-même en désaccord avec le rituel catholique de 1984.
Le cléricalisme papal est d’autant plus scandaleux qu’il est admis depuis Cyprien que n’importe qui peut baptiser en cas de nécessité, jusque et y compris un non-baptisé, dès lors que celui-ci a l’intention de faire « comme l’Eglise » (CIC 1256, DS 1315 et catéchisme de l’Eglise catholique 1272). Mais surtout, le baptême inscrit le baptisé dans un peuple qui est lui-même tout entier sacerdotal :
« vous participez à la dignité de prêtre, de prophète et de roi », proclame le rituel, se fondant sur Lumen Gentium, l’une des quatre constitutions de Vatican II, qui rappelle la participation des laïcs au sacerdoce commun, prônant leur part à la charge sacerdotale (paragraphe 34), leur participation à la fonction prophétique du Christ (paragraphe 35), ainsi que leur participation au service royal (paragraphe 36).
Du jamais vu dans l’histoire de l’Eglise
La loi promulguée par le pape François est d’autant plus scandaleuse que son ordre de rebaptiser est formulé « de manière absolue ». Du jamais vu dans l’histoire des diatribes qui ont déchiré l’Eglise catholique au sujet du sacrement baptismal ! Au plus fort de la controverse donatiste et de la persécution romaine du IVe siècle, l’église dominante avait quand même décidé que les lapsi ne devaient pas être rebaptisés, car le sacrement du baptême, dès lors qu’il a été administré en utilisant la formule trinitaire, est irrévocable, il imprime une marque indélébile sur l’âme des baptisés. Le pape actuel se fait plus sectaire dans ses décisions que les plus sectaires de ses prédécesseurs.
Mais le scandale de la loi Bergoglio n’est pas que théologique, c’est aussi un scandale pastoral. On n’ose pas imaginer le choc subi par les parents qui ont mis leur foi dans la célébration du baptême de leur enfant, lorsqu’un sbire ecclésiastique, chancelier diocésain, curé ou diacre, viendra leur notifier que le pape a décidé que ce baptême fêté en famille et en église, ce baptême qui les a mis dans la joie du Christ, est nul. Du pipo ! Et qu’il leur faut « de manière absolue » en faire un autre.
Contrordre arrière-gardiste
Je relis la lettre que Dietrich Bonhoeffer écrivit depuis sa cellule dans la prison de Tegel, en mai 1944, à son filleul ; le théologien martyr note au sujet de
« l’ordre de baptiser donné par le Christ » la difficulté de comprendre « ce que signifie réconciliation et rédemption, nouvelle naissance et Esprit Saint, amour des ennemis, croix et résurrection, vie en Christ et imitation de Jésus-Christ, tout cela, est devenu si difficile et si lointain que c’est à peine si nous osons encore en parler. » (Résistance et soumission, Labor et fides).
Aujourd’hui, le contrordre baptismal du pape Bergoglio fait obstacle à la compréhension du baptême pour des familles de moins en moins demandeuses du sacrement initial : entre 2008 et 2017, le nombre des baptêmes catholiques célébrés en France a plongé de 400 000 à 270 000. – 30% en neuf ans !
Comme le montre Scandales, les défis de l’Eglise catholique (Editions Empreinte Temps présent), le pontificat de Jorge Bergoglio n’aura relevé aucun défi ecclésial, que ce soit sur la famille et la morale sexuelle, l’ouverture des ministères aux femmes et aux laïcs, le célibat du clergé, la corruption des finances du Vatican, l’emprise de la curie romaine, celle du cléricalisme et de la théocratie, l’inertie et la complicité des évêques face aux ecclésiastiques pédocriminels et à leurs réseaux, ni face à aucune des urgences d’une réforme de l’Eglise catholique.
Désormais, le contrordre arrière-gardiste et scandaleux du pape actuel va siphonner les dernières vocations baptismales.
Christian Delahaye
Théologien et journaliste
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