L'ouvrage de Cengiz Aktar, "Le Malaise turc" fait parler de lui. Retrouvez ici les différents articles et recensions.
« Aucun autre oiseau ne peut s’abriter dans un nid que le propriétaire a dû fuir, celui qui détruit un foyer ne peut avoir de foyer, dans la terre de la cruauté s’épanouit seule la cruauté… »
C’est par ces mots de Yashar Kemal (1923-2015) que Cengiz Aktar, politiste de renom et défenseur des droits humains et des minorités enseignant désormais à Athènes, introduit ses lecteurs à la malédiction de la République turque, « née sous le signe du Scorpion » le 29 octobre 1923. Concis autant qu’érudit, l’ouvrage permet de suivre la trajectoire d’un empire constituant, à ses propres yeux, la troisième incarnation de Rome, jusqu’à son processus d’occidentalisation au XIXe siècle, qui connaît une rupture brutale avec la « nationisation » du tournant du XXe siècle par le nettoyage ethnique, le génocide, le nationalisme à outrance et un culte de l’État qui lui confère le droit de vie et de mort sur ses sujets. Lire la suite sur la revue Esprit (Abonnés)
Turquie. Erdogan a entrepris la désoccidentalisation du pays
Après un siècle et demi d’occidentalisation à marche forcée sous l’empire Ottoman puis la république laïque, le Président et les islamo-conservateurs qui règnent désormais sans partage veulent imposer un virage à 180 degrés. La confrontation sur le campus de l’université Bogaziçi d’Istanbul, où le pouvoir a nommé un recteur partisan rejeté par
les étudiants et le corps professoral, en est la manifestation.
La colère étudiante ne faiblit pas en Turquie, un mois après que le président Recep Tayyip
Erdogan a nommé un membre de son parti à la tête de la prestigieuse université Bogaziçi
d’Istanbul. Étudiants et enseignants exigent la démission de Melih Bulu, dont les
qualifications universitaires sont sujettes à caution. La brutale répression des manifestations
et plus de 150 arrestations d’étudiants, qualifiés de « terroristes » par le pouvoir, n’ont fait
que durcir la confrontation entre un pouvoir autoritaire, mais fébrile, et des étudiants
déterminés.
En toile de fond de cette querelle, le politiste et chroniqueur Cengiz Aktar pointe la volonté
du pouvoir islamo-conservateur de prendre une revanche sur un siècle et demi
d’occidentalisation et de transformer en profondeur le pays et sa population, au risque de
détruire ses institutions.
Militant de la cause européenne, d’une solution pacifique à la question kurde et de la
reconnaissance du génocide des Arméniens, cet intellectuel s’est exilé depuis quatre ans en
Grèce, où il dispense un cours à l’université d’Athènes. Il vient de publier Le malaise turc.
« Paix dans le pays, paix dans le monde, était le slogan du kémalisme ; zéro problème avec les voisins, disait Davutoglu, et aujourd’hui la Turquie est en guerre à l’intérieur avec le durcissement de la répression et en guerre à l’extérieur sur cinq fronts simultanément, ce qui est sans précédent dans l’histoire de la République », note avec une amère ironie Cengiz Aktar, auteur du Malaise turc (Empreinte temps présent, 104 pages, 9,80 euros), politiste et professeur invité à l’université d’Athènes.
Marc Semo - Le Monde
Une volonté de revenir aux racines des relations entre la Turquie et l’Europe occidentale
Cengiz Aktar remonte jusqu’au XVe siècle pour chercher les fondamentaux, l’invariable, dans les échanges entre l’Europe de l’ouest et l’Empire ottoman, puis la Turquie contemporaine. Cette partie « historique » de l’essai repose essentiellement sur une vision de blocs bien distincts, pris comme des ensembles cohérents, qui se confondent avec les États et les dynastie régnantes qui dominent ces espaces : l’Occident et l’Orient.
Altérité
Pour l’auteur, l’Empire ottoman est « l’Autre », le « modèle alternatif » de l’Europe occidentale, et vice-versa. Les deux entités entretiennent une « fascination mutuelle » durant des siècles. Dans ce rôle d’alternative orientale à l’Europe occidentale, Cengiz Aktar voit dans le monde ottoman un héritier de Byzance, qui réactive la partition romaine de l’espace méditerranéen par une démarcation Est – Ouest. Des rapports entre Orient et Occident qui ne sont pas à l’équilibre. Lire la suite ...
La Turquie fait à nouveau débat, commence par écrire l’auteur. Convenons qu’il s’agit, depuis ces deux dernières années, beaucoup plus qu’une simple joute oratoire, intellectuelle et même historique, mais que la Turquie d’Erdogan est devenue une préoccupation majeure, pour l’Europe, comme pour l’Otan, comme pour bien de ses voisins, à commencer par la Russie. C’est cette novation géopolitique aux fortes consonances qu’il convient de tirer au clair. Souvenons-nous en : ce pays qui compte entre 4 et 5 millions de ses ressortissants, dont bon nombre de naturalisés en Allemagne et 700 000 en France, faisait encore récemment l’objet d’un débat positif – du redémarrage d’une relation forte avec l’Europe au moment de la candidature à l’Union européenne en 1999, jusqu’au virage radical de 2013 – battant en brèche l’ordre social et politique qui l’avait régi au cours des deux derniers siècles.
Ce revirement est tellement radical qu’aujourd’hui on ne parvient plus à saisir ce qui est en train de se passer sous nos yeux et que l’on préfère regarder ailleurs en invoquant une « fatigue turque », renoncement, lâcheté ou lassitude, c’est précisément dans cette brèche que s’est infiltré le nouveau sultan, maniant, avec quelle habileté tour à tour menace et offre d’ouverture. Cette courte période d’une quinzaine d’années faisait suite, écrit l’auteur, à une longue ère de désintérêt de la part de l’Europe qui couvre la quasi-totalité du XXe siècle, de 1918 à 1999, de la fin de la Grande Guerre perdue par les Ottomans jusqu’à la résurrection de la relation avec l’Europe. Là, il va un peu loin car c’est bien en 1952 que la Turquie a été intégrée à l’Otan afin de constituer un môle solide en Méditerranée orientale face à la menace soviétique. C’est en 1963 que de Gaulle lui a accordé un statut d’associé à la Communauté économique européenne. Lors de cette traversée du désert, la Turquie a été livrée aux spécialistes de cet Orient-là, qui l’abordaient avec sympathie, mais aussi à ses détracteurs qui la traitaient avec antipathie, rarement à des observateurs empathiques, afin d’aboutir à des analyses objectives, sereines et dépassionnées. Lire la suite ...
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