"J’appelle la droite à abolir enfin le fameux et funeste cordon sanitaire"
Eric Zemmour, Canne, le 22 janvier 2022
"J’appelle la droite à abolir enfin le fameux et funeste cordon sanitaire ", s’est exclamé Eric Zemmour devant un parterre enflammé de supporters (meeting de Cannes, le 22 janvier). À défaut d’être entendu par les dirigeants des partis de la droite et du centre qui continuent à se dresser contre son discours identitaire et haineux, en formant ce cordon sanitaire qu’il honnit, le candidat à la présidence de la République défenseur de la civilisation chrétienne pourra au moins se féliciter d’avoir reçu un renfort sacré et même un sacré renfort : celui des évêques. Dans la brochure qu’ils viennent de rendre publique sous le titre L’Espérance ne déçoit pas, leur conférence, la CEF (conférence des évêques français) s’abstient en effet d’appeler les catholiques à voter contre les deux candidats de l’extrême droite.
Commentant au micro de Radio Vatican, le 19 janvier, ce refus de renforcer le cordon sanitaire contre la montée de l’extrême droite, Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, a constaté :
"il y a beaucoup d’inquiétude dans le pays, qu’une espèce de trouble touche l’humanité elle-même, que beaucoup de peurs s’expriment".
Mais il s’est bien gardé de demander franchement aux catholiques de ne voter ni pour Zemmour ni pour Le Pen. Les évêques préfèrent en appeler au dialogue, à l’échange avec toutes les cultures du monde et susciter des réflexions personnelles de chacun, pour que chacun nourrisse son choix de raison, explique-t-il benoitement. Monsieur Zemmour et Madame Le Pen ne peuvent que se réjouir de ce discours pieu-pieu qui ne fait pas obstacle à leurs menées d’inspiration prétendument chrétiennes et renforce «la Fachosphère décomplexée» dénoncée par Golias Hebdo ?
Les évêques contre « le détournement de l’Évangile »… en 2002
Pour prendre la mesure de ce qui constitue un scandale, c’est-à-dire un obstacle à la foi, il faut relire les exhortations exprimées par la même CEF, en 2002, contre Jean-Marie Le Pen :
Chrétiens, nous ne supportons pas les mensonges du candidat de l’exclusion, du mépris et de la haine, notamment quand il détourne l’Évangile à son profit. Le projet de société qu’il (le candidat FN) propose n’a rien à voir avec le message d’amour et d’espérance du Christ…Nous en avons assez de voir grandir dans notre pays le mépris, la défiance, l’hostilité contre les immigrés, nous en avons assez des idéologies qui justifient ces attitudes,
tonnait en chaire Albert Decroutray, primat des Gaules. A Paris son confrère cardinal Jean-Marie Lustiger stigmatisait les thèses néo-païennes et antichrétiennes du Front National, il dénonçait l’avilissement de la pensée négationniste de Le Pen.
Vingt ans plus tard, les évêques s’assoient donc dans leurs cathèdres sur la mémoire de leurs prédécesseurs. Dans sa lettre d’information du 20 janvier, la CEF propose un retour sur les déclarations des évêques de France sur le champ politique et social, avec un florilège du nouveau prêchi-prêcha d’où ils ont purement et simplement expurgé les admonestations véhémentes de 2002, ne reprenant que des discours palinodiques de l’Évangile (perspectives pour une société juste et autre dans un monde qui change, retrouver le sens du politique, jusqu’à l’Espérance ne déçoit pas).
Dédiabolisation de la droitisation catholique
Pour m’être ému de cette stratégie de banalisation, de dédiabolisation et de droitisation catholique, dans une tribune titrée par Le Monde du 26 avril 2017, Honte aux évêques français, dans le sillage de la publication de Scandales, les défis de l’Église catholique (Éditions Empreinte temps présent), j’étais alors mis à pied de l’Institut catholique de Paris, du séminaire interdiocésain de Basse-Normandie et du centre d’études théologiques de Caen, où j’enseignais le dialogue interreligieux.
Or, il ne faut pas s’y tromper, la communication de la CEF en 2022 n’est pas un simple copié-collé de celle de 2017 : deux facteurs particulièrement aggravants sont en effet intervenus entre les deux élections : d’une part, la référence au christianisme et à la civilisation dite chrétienne, l’instrumentalisation de l’Évangile sont devenues les arguments récurrents de l’extrême droite, tandis que, d’autre part, celle-ci atteint des taux inédits dans les sondages, jusqu’au tiers des intentions de vote, mettant en péril plus que jamais le vivre-ensemble selon l’Évangile.
Dans un tel contexte, si l’Espérance ne déçoit pas, comme le proclament ceux-là mêmes qui sont censés la porter, les évêques la déçoivent plus cruellement que jamais.
Christian Delahaye
Journaliste et théologien,
Est l'auteur de Scandales, les défis de l'Eglise catholique, L'alliance contre-nature et Adieu Curé
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