« Pour une Eglise synodale : communion, participation et mission », c’est le thème du prochain synode, d’abord convoqué en septembre 2022, finalement reporté à octobre 2023 pour permettre la tenue de synodes diocésains sur le même sujet. Mais quelle communion ? Quelle participation ? Quelle mission ? Le pape François a déjà annoncé la couleur : ce ne sera pas « un beau parlement catholique ». Pas question d’y élaborer « un plan à programmer et à réaliser pour l’Eglise », pas davantage question de « chercher une majorité, un accord », ni d’ouvrir une « discussion des problèmes et des différentes choses qui existent dans la société et des trois ou quatre idées qui sont à la mode. » Autrement dit, surtout pas de démocratie dans la gouvernance ecclésiale selon Jorge Bergoglio, quand bien même les diocèses sont mis à contribution.
Faut-il s’en étonner ? On le répète depuis des siècles, l’Eglise n’est pas une démocratie. Comme s’il était absurde et hors-sujet de le proposer, aujourd’hui comme hier. Pourtant, le grand théologien Hans Kung, disparu il y a quelques semaines, n’a eu de cesse d’y insister, encore dans son dernier livre, « Peut-on encore sauver l’Eglise ? » (Seuil) : « Du point de vue du Nouveau Testament, l’Eglise n’est certainement pas une dictature et plutôt qu’avec une monarchie ou une théocratie (le règne d’une caste sacrée), il faut la comparer avec une démocratie : c’est le règne de l’ensemble du peuple saint. » Dans les premières communautés, les pasteurs n’ont jamais constitué une classe dirigeante exerçant un pouvoir de commandement auquel tous les fidèles devaient une obéissance
absolue. On parlait alors d’un ministerium, c’est-à-dire d’un service, et jamais d’un dominium, qui aurait installé une structure dominante.
Comme au Soviet Suprem
cet égard, Hans Kung n’hésitait pas à comparer le Vatican au Soviet Suprem de l’ex-URSS, avec ses dirigeants séniles qui prétendent incarner le peuple, parler et décider en son nom. Or, dans cette affaire de la synodalité (remise en service en 1965 par le Motu proprio Apostollica sollitudo), cette prétention est plus que jamais à l’ordre du jour du Vatican :
Le chemin synodal partira de toutes les communautés chrétiennes, du bas, du bas, du bas jusqu’en haut,
assure le pontife romain, comme si l’entre-soi des évêques convoqués au Vatican garantissait un ruissellement renversé, de bas en haut de la hiérarchie ecclésiale.
Une fois encore, ce sont donc des dirigeants âgés qui vont statuer entre eux. Il ne s’agit surtout pas de dégager une majorité et un programme pour l’avenir de l’Église, comme les pères conciliaires l’avaient fait au cours du concile de Vatican II, quitte à s’engager alors dans des bras de fer entre conservateurs et progressistes et à ferrailler contre la curie romaine, pour emporter les suffrages et faire avancer l’Église dans et avec son temps. Les votes des pères, renouant avec les fondamentaux bibliques et patristiques, avaient alors redécouvert le sacerdoce commun des fidèles, affirmant que, par leur baptême, les laïcs comme les clercs étaient revêtus d’une égale dignité d’enfants de Dieu et qu’ils pouvaient ainsi participer pleinement à la mission de l’Église. Avec Lumen Gentium, la constitution dogmatique sur l’Église promulguée en 1964, la distinction entre une hiérarchie enseignante et un laïcat enseigné était enfin abolie, comme était abrogé le modèle moyenâgeux d’une societas perfecta (société parfaite) que se prétendait le système romain. Le concile avait ouvert la voie au débat démocratique dans l’Église, allant même jusqu’à professer que les baptisés ont la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Église (Lumen Gentium 37).
La voie démocratique est verrouillée
Soixante ans plus tard, la parole des « simples laïcs » sera cadenassée dans les synodes diocésains : Rome va imposer un questionnaire qui la bornera avec un vademecum ; c’est bien sûr l’évêque local qui présidera la consultation ; ce sont les conférences épiscopales qui rédigeront les synthèses. Et ce sont les seuls évêques convoqués à Rome qui délibéreront au final, en 2023. C’est avec ses pairs et seulement eux – à la différence des églises protestantes où des délégués laïcs sont en parité avec les délégués pasteurs - que l’actuel évêque de Rome entend faire « marcher l’Eglise ensemble derrière le Seigneur et vers les personnes ». Aucune chance réelle n’est ainsi laissée aux réformes de l’institution qui pourraient menacer le système romain : :
"La sélection des membres des évêques est totalement entre les mains de la bureaucratie romaine, constate Hans Kung. Cette dernière ne les choisit pas selon leurs compétences pastorales et théologiques, mais en fonction de leur soumission idéologique. Aujourd’hui, pour devenir évêque, il faut être absolument conforme à la ligne du parti sur tous les points de doctrine qui sont controversés. À travers le réseau des nonciatures apostoliques et par le questionnaire qui sert à évaluer les candidats potentiels à l’épiscopat, Rome s’assure que ces derniers adhèrent sans la moindre critique aux positions officielles sur la contraception, le célibat des prêtres, le refus d’ordonner les femmes, etc."
Ce casting épiscopal avait déjà permis de conclure les trois précédents synodes sans aucune avancée : ni celui sur la famille (2014), ni celui sur les jeunes (2018), ni celui sur l’Amazonie (2019) n’ont accouché d’une réforme. Et même quand les évêques ont été en majorité demandeurs d’un progrès, comme l’ordination d’hommes mariés en Amazonie, qu’ils avaient réclamée à l’unanimité, le pape, en monarque absolu, a bloqué, c’est lui qui règne, et pas l’ensemble du peuple saint. Cette fois, il a prévenu, il n’y aura pas même de discussion sur « les sujets à la mode » (les femmes, le sacerdoce, les laïcs, la bioéthique, etc.) Autrement dit aucune des grandes questions où le peuple aspire à des changements ne sera abordée. Comme Joseph Moingt le constatait dans son livre-testament « L’esprit du christianisme » (Temps présent), l’Église ne reconnaît toujours pas la liberté de parole des laïcs, elle n’accepte pas de remettre en cause ses anciennes pratiques. Elle est structurellement incapable d’accueillir les multitudes.
Le codicille de J. Bergoglio
décrète la convocation des synodes diocésains, dont le droit canon réserve l’initiative aux évêques locaux. Il l’assortit d’un codicille :
Ce qui fait la synodalité, explique-t-il, c’est la présence de l’Esprit : la prière, le silence, le discernement de tout ce que nous (les évêques) partageons. Il ne peut exister de synodalité sans l’Esprit et l’Esprit n’existe pas sans la prière. C’est très important.
Très important et pas nouveau : Joseph Moingt avait noté que "le bruit joyeux de la parole des fidèles s’était éteint à la fin du IIe siècle, l’Esprit saint fut prié alors de ne plus parler que par l’entremise de la parole magisterielle".
Mais attention : surtout "pas de beau parlement", surtout "pas de plan de réforme", surtout "pas de discussion à la mode". C’est ainsi que ce pape poursuit la révolution de la décatholicisation déjà bien engagée.
Dans leur dernier livre, les sociologues Philippe Portier et Jean-Paul Willaime (La religion dans la France contemporaine, Armand Colin), en mesurent l’impact, chiffres à la clé (de saint Pierre) : En 1950, 92 % des Français affirment encore appartenir au catholicisme, ils sont 32 % en 2018 ; en 1950, 30 % des Français allaient à la messe une fois par semaine, ils sont 8 % en 2018 à s’y rendre une fois par mois ; en 1975, 78 % des nouveau-nés étaient baptisés, en 2019, ils représentent 30 %. Le catholicisme a décroché.
Christian Delahaye
Journaliste et théologien
Christian Delahaye publie régulièrement aux éditions Empreinte.
Il vient de publier l'ouvrage "Adieu curé" aux éditions Empreinte.
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