top of page
Photo du rédacteurDamien GUILLAUME

Une femme « primate » des Gaules ? De l’effet buzz à l’effet pschitt

Dernière mise à jour : 5 sept. 2020





Il est rare que des théologiens allument les feux de l’actualité. De ce point de vue, Anne Soupa a réalisé une sacrée performance en annonçant qu’elle présentait au nonce apostolique sa candidature à l’archevêché de Lyon, pour succéder au cardinal démissionnaire Philippe Barbarin. Bingo ! Une femme primate des Gaules ? – si l’on peut risquer, toute révérence gardée, la féminisation du titre – l’initiative de la présidente du Comité de la jupe (CDJ) a produit un joli buzz. Pour autant, elle pose deux questions : cette initiative a-t-elle la moindre chance de forcer le verrou du cléricalisme dans l’église catholique ? Et la théologie féministe en sort-t-elle grandie ?



A 73 ans, Anne Soupa n’en est pas à son coup d’essai. Avec Christine Pedotti, elle a indéniablement contribué à libérer la parole féministe en régime catholique avec la création, en 2008, du CDJ, réplique cinglante au cardinal André Vingt-Trois, lequel avait déclaré au sujet de la place des femmes dans l’Eglise :



"Le tout n’est pas d’avoir une jupe, mais d’avoir quelque chose dans la tête".

D’autres pavés ont été depuis balancés dans le bénitier : création de la Conférence catholique des baptisé(e)s francophones en 2009 ; premier conclave féminin, pour faire sortir les femmes de leur invisibilité, en 2013 ; manifestation les gants roses devant le siège de la conférence des évêques, pour dénoncer le rôle de petites mains dévolues aux femmes dans une église gouvernée par les hommes, en 2016 ; nuit des femmes, manifestation interreligieuse en 2017 ; et, en mars dernier, Enfin elles célèbrent !, à l’occasion de la journée de la femme, Parole et prières dites par des femmes et des hommes. Toutes ces manifestations promeuvent la théologie féministe dans ses grands combats : l’égale dignité des baptisé(e)s, hommes ou femmes, prêtres ou laïcs, ordination des femmes dans le diaconat et le presbytérat, dénonciation des structures patriarcales de la famille comme de l’Eglise, nouvelle approche de la sexualité entre êtres humains créés égaux, nouvelle herméneutique biblique inclusive. C’est toute une théologie de la libération tout à la fois systématique, dogmatique, biblique, historique, morale et politique qui se déploie ainsi depuis près d’un demi-siècle.


Fermez le ban !


Si dans les églises protestantes, les femmes ont pu accéder à partir des années 1960 au ministère pastoral, elles ne peuvent toujours pas être ordonnées prêtres catholiques. Dans son dernier livre En finir avec le cléricalisme (Seuil), Loïc de Kerimel montre comment le système romain, hiérarchique et autoritaire, verrouille le monopole sacerdotal masculin. La lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis (1994), a voulu clore à tout jamais le débat : l'Église n'a en aucune manière le pouvoir de conférer l'ordination sacerdotale à des femmes, statue Jean-Paul II, et cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l'Église.


Même la porte du diaconat reste close. En 2002, la commission théologique internationale (CTI) concluait cinq ans de travaux en affirmant que les diaconesses présentes dans les églises des premiers siècles n’étaient pas ordonnées, et qu’il n’y avait donc aucune légitimité historique à invoquer un sacrement de l’ordre pour les femmes. En mai 2016, le pape François a bien évoqué la création d’une nouvelle commission d’étude sur le diaconat féminin.

Mais, comme le relate Scandales, les défis de l’Eglise catholique, il s’est empressé d’expliquer qu’annoncer que l’Eglise ouvre la voie aux diaconesses, comme je l’ai lu dans les journaux, n’est pas la vérité. Et de conclure avec un cynisme digne d’un tweet de Donald Trump : Quelqu’un me disait que, quand quelque chose ne trouve pas de solution, on crée une commission ! Aucune brèche n’est donc taillée dans le sexisme catholique, comme le CDJ le constatait lui-même à l’occasion des dix ans de sa création. C’est l’impasse.


Démarche très sérieuse ?


Dès lors, la candidature d’Anne Soupa doit-elle être considérée comme un baroud d’honneur, un simple coup médiatique pour prendre à témoin l’opinion publique et alerter les chrétiens, sans prêter à suite ni conséquence ? Une fois traversé le cercle de feu de l’incompréhension, la démarche est très sérieuse, proteste l’intéressée, qui réfute l’objection selon laquelle elle ne pourrait pas remplir une mission d’archevêque au motif qu’elle n’est pas prêtre : Je pense que l’on peut gouverner un diocèse, veiller à la rectitude doctrinale, protéger les plus petits, qui est la mission première de l’évêque, en étant laïque. Et je peux être un guide spirituel sans être directement affectée à la question des sacrements. Pour moi, assure-t-elle, ce sont deux choses différentes.



L’épiscopat ne consonne pas avec l’Evangile


En son temps, Christine Pedotti avait fait sensation dans son roman de religion-fiction Vatican 2035 (publié chez Plon sous le pseudonyme masculin de Pietro de Paoli) en observant que le code de droit canonique n’interdit pas qu’un non-prêtre soit créé cardinal, qu’il soit homme ou femme. Mais en visant l’évêque, Anne Soupa touche au cœur du modèle organisationnel catholique. Le sacrement de l’Ordre y est dispensé selon une hiérarchie stricte et à des étages bien distincts, avec des ordres mineurs (lectorat, exorcistat et acolytat), puis des ordres majeurs (diaconat, presbytérat et épiscopat), c’est un sacrement unique dispensé par petites bouchées, dans un système d’emboîtement construit par le concile de Trente. Même si Paul VI l’a quelque peu ébréché (motu proprio Minesteria quaedam de 1972), le système romain demeure essentiellement et fondamentalement hiérarchique. Et c’est là que pêche l’initiative d’Anne Soupa : non seulement elle se garde bien de contester l’ordre ecclésiastique en place, mais en prétendant s’y inscrire personnellement, en revendiquant pour elle-même le pouvoir épiscopal, elle le valide et elle le reconnaît. Or, comme le remarque Régis Debray, l’épiscopat ne consonne pas avec l’esprit de l’Evangile, Jésus a mis tous les hommes de plain-pied (Dieu, un itinéraire, éditions Odile Jacob). Vous n’avez qu’un rabbi et vous êtes tous frères (Matthieu 23, 12), rappelle le théologien anglais James Alison, il n’y a pas de laïcs dans le christianisme, tout chrétien baptisé partage la prêtrise, l’ordre ecclésiastique est une invention tardive (12 leçons sur le christianisme, Desclée de Brouwer)


C’est ce qu’établit encore la spécialiste de l’histoire du christianisme ancien Marie-Françoise Baslez :


Le Nouveau Testament ne comporte pas de modèle organisationnel, les évêques des premières générations sont des maîtres de maison (1ère épitre à Tite 3, 4-5) et ce n’est qu’à partir du IIIème siècle que succède progressivement à la vision égalitaire et spontanément unanime une vision hiérarchique de l’Eglise (Comment les chrétiens sont devenus catholiques, 1er-Ve siècle, Taillandier).

Le rideau du Temple est déchiré


Jésus a en effet aboli la hiérarchie sacerdotale , comme j’y insiste dans Adieu curé ! (à paraître aux éditions Empreinte-Temps présent). Lorsqu’il expira sur la croix, le rideau du temple se déchira en deux, du haut en bas (Marc 15, 38 et Matthieu 27,51). Or, ce rideau n’est pas un simple élément de décoration liturgique, il marquait la délimitation du saint des saints, c’est-à-dire qu’il constituait la frontière entre l’espace du clergé et celui des laïcs, il retranchait l’espace sacré de l’espace profane. La mort de Jésus sur la croix abolit cette frontière, elle efface la ligne de démarcation entre gens du monde sacré, prêtres et évêques, et gens du monde profane, les laïcs. Jésus rompt avec cette rupture. Après sa mort, le temps des prêtres et des évêques est aboli, leur pouvoir est renversé de leurs trônes, les hommes sont libérés de leur emprise et de leur logique sacrificielle.


En revendiquant la crosse de primat des Gaules, Anne Soupa s’inscrit toujours dans ce système du pouvoir sacerdotal. Mais elle oublie que Jorge Bergoglio a tranché par avance : Le saint pape Jean-Paul II a eu le dernier mot limpide sur ce sujet (le bannissement des femmes de la prêtrise) et je m’y tiens, a lancé à des journalistes le pape actuel. En mai 2019, à une religieuse qui, devant l’assemblée des supérieures générales féminines l’interpellait au nom de toutes les femmes qui voudraient servir le peuple de Dieu aujourd’hui avec les mêmes droits que les hommes, il avait rétorqué : Nous ne pouvons pas aller au-delà de la Révélation et de l’explication dogmatique. Suprême rempart du sexisme machiste religieux, Jorge Bergoglio continuera tranquillement d’exclure la moitié de l’humanité à la seule raison de son sexe de tout ministère ordonné, diaconal, presbytéral ou épiscopal. Au mépris de l’Evangile du rideau déchiré. La candidature Soupa aura eu un effet buzz, elle finit avec un effet pschitt. La théologie féministe méritait mieux.


Christian Delahaye journaliste, essayiste et théologien.


A voir également du même auteur :





254 vues0 commentaire

Comments


bottom of page