La série « Unorthodox », mini-thriller au cœur de la communauté hassidique de Brooklyn, rencontre un important succès depuis sa sortie le 26 mars sur Netflix. Inspirée d’une histoire vraie, adaptée des mémoires de Déborah Feldman, la production allemande créée par Anna Winger, s’affiche comme une ode à la liberté. Cependant, plusieurs voix proches de la communauté hassidique new yorkaise dénoncent une représentation trop stéréotypée de la communauté.
« Ils ont tout tourné en caricature »
Frieda Vizel (NDLR : Interviewée par la journaliste Hélène Masquelier pour la rédaction de cet article) a grandi et vécu dans la communauté hassidique de Satmar, où se déroule la série, avant de s’enfuir à l’âge de 25 ans avec son fils. Depuis sept ans, elle organise des visites guidées à Williamsburg, le quartier de la communauté au cœur de Brooklyn. Selon elle, aucun des membres de la communauté n’a vu dans cette production de quatre épisodes une représentation réaliste de leur vie quotidienne :
« Les vêtements, la décoration, les maisons : rien n’est correctement représenté ».
Frieda Vizel note les erreurs de la série dans la mise en scène des différents rituels de la communauté, mais surtout, elle dénonce une représentation caricaturale, ne reflétant en rien l’esprit du hassidisme qu’elle connaît :
« Le hassidisme est un monde très social, communautaire, connecté et les enfants et les relations sont au cœur de la vie quotidienne. Il y a un esprit de partage, qui n’est absolument pas reflété dans la série. »
Selon Frieda, « La série dépeint un monde très froid et malheureux, mais la réalité est que c'est un monde très sécurisant, à la limite de l’infantilisant, et extrêmement chaleureux. »
Elle a également beaucoup ri en entendant la mauvaise prononciation du Yiddish par les différents acteurs. Pour Frieda, l’ensemble de la série n’est finalement que le reflet d’un regard extérieur à la communauté :
«C’est un peu comme si l’on avait voulu tourner un film sur les Français et que l’on restait focalisé sur les croissants, les bérets et la Tour Eiffel».
L’aspect austère de la décoration et des vêtements dans la série restent également très loin de la réalité : « Les Hassidim aiment les belles choses ! D'ailleurs je critique souvent leur matérialisme... ».
Table préparée pour le Séder, repas cérémonial, au sein de la communauté juive hassidique de New York.
« Tout n’est pas si noir et blanc »
« Il y a de plus en plus de gens qui viennent bousculer les règles », explique Frieda. En effet, Les Hassidim de Williamsburg appartiennent de nos jours à la quatrième génération. La communauté est donc composée de personnes qui ne se sont pas réunies de façon volontaire.
« Presque tout le monde est né dans la communauté, car ils n'accueillent pas les étrangers. »
Cela crée un courant sous-jacent de personnes qui ne sont pas en accord avec le système, et contournent les règles :
« Des gens regardent tranquillement des films, sortent, portent des vêtements occidentaux en vacances...»
Frieda, comme Etsy, a quitté la communauté pour apprendre à vivre différemment, en dehors des règles strictes de la communauté. Mais, depuis sept ans, Frieda Vizel voit les choses s'améliorer progressivement dans le quartier de Williamsburg:
« Maintenant, quand je reviens, je suis surprise par la chaleur de tout ce monde ». Elle décrit notamment la nature « très effusive » des femmes de la communauté : « Vous ne vous en rendez pas compte jusqu'à ce que vous les opposiez au comportement plus distant des Laïcs ».
Pour elle, au fond, la série « Unorthodox » présente surtout «une propagande de la culture séculière». La série exposerait ainsi une vision très stéréotypée de la communauté ultra-religieuse, mais aussi du monde moderne extérieur :
« J'adore la façon dont tous les personnages non hassidiques sont si serviables et prennent soin d’elle de façon si naturelle. Tandis que le personnage hassidique (Moshe en particulier) est une figure abusive, va au casino, dans les bordels et est violent avec les femmes. »
Le vrai problème pour Frieda, c’est cette vision trop contrastée mise en avant par la série, opposant la vie au sein de la communauté et celle du monde extérieur, sans aborder les difficultés du passage de l’un à l’autre.
« Je pense que nous subissons un tel traumatisme sexuel »
Shaindy (NDLR : Interviewée par la journaliste Hélène Masquelier pour la rédaction de cet article) elle aussi s’est enfuie de la communauté hassidique il y a plusieurs années. Elle se remémore ses premières expériences dans le «monde séculier», décrites comme « dures et douloureuses » :
« J’apprenais de quelle façon les gens pouvaient être froids, égoïstes et violents. » Shaindy regrette que ces difficultés d’adaptation ne soient pas mentionnées dans « Unothodox ». Au contraire, dans la série, l’héroïne surmonte rapidement les obstacles, et commence naturellement à vivre sa vie de femme libre, entre libération sexuelle et intégration des nouveaux codes sociaux.
« Ceux et celles d'entre nous qui partent regardent aussi ces séries ». Shaindy rappelle que «partir est un processus, mais apparemment pas pour Etsy ! » En réalité, confit-elle, « je pense que nous subissons un vrai traumatisme sexuel...»
La compréhension des relations sociales, notamment entre les hommes et les femmes, en dehors de la communauté est un processus souvent compliqué pour ces femmes qui partent, explique Shaindy.
Pour elles, il reste difficile d’expliquer ce que cela implique de passer d’un monde sexuellement ségrégué à un monde où la mixité est reine. Ce qui est certain, pour Shaindy comme pour Frieda, c’est que l’exemple d’Etsy pourraient nuire aux femmes qui décideraient de quitter la communauté.
Aujourd’hui, Frieda voit les demandes affluer pour son activité de guide au sein de la communauté de Williamsburg. Elle reçoit également des messages de bon nombre de ses amis, affirmant qu'ils « comprennent maintenant parfaitement où j'ai grandi ». C’est ainsi sans doute le plus grand défaut de la série « Unorthodox » : de revendiquer son réalisme.
Frieda, elle, compte bien contribuer à déconstruire cette représentation, jugée trop simpliste, de cette communauté qu’elle a quittée il y a maintenant de nombreuses années.
Pour aller plus loin :
Hélène MASQUELIER
« Journaliste indépendante issue de la radio, Hélène Masquelier s’est établie plusieurs années en Chine à la découverte des cultures minoritaires. En collaboration avec plusieurs médias, elle s’intéresse aujourd’hui aux problématiques de représentation sociale des communautés en marge. »
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